lundi 26 janvier 2009

3 - Lettre au Maire de Nogent-sur-Marne


Vidéo : "Les tours fantômes de Saint-Ouen l'Aumône"

Madame le Maire,

Souvent l'ennui, le poids des jours qui passent, insipides et indolents, ou le calme mortel des heures insanes me chassent hors des murs de ma confortable prison, et c'est d'un pas rageur que je foule le pavé oppressant de la ville.

Bravant la pluie, la neige ou le vent frais d'automne, j'arpente les rues en quête d'un hypothétique destin. Au détour de ces chemins improvisés, j'espère croiser un regard, une étoile ou même un chien, que je suivrais et qui m'emmènerait vers des terres promises, loin de cette ville, loin de ces jours sans éclat ni saveur. Mais je marche droit devant moi, et rien ne vient, rien ne surgit du coin de la rue, à part les voitures qui me frôlent, anonymes, ainsi que les pauvres vieilles plus mortes que je ne le suis, qui trépassent à petits pas le long des trottoirs.

Maudites soient ces interminables rues trop ordinaires baptisées " Général de Gaule " et " Général Leclerc " ! Toujours les mêmes, partout. Toutes ces villes de banlieue se ressemblent : rues moroses, mornes, languissantes. C'est un bien triste hommage que l'on rend aux têtes immortelles en les faisant se pencher sur cette grisaille citadine, exsangue, vide de joie, pleine de poussière et de désolation...

Plongé dans ce monde au bord des larmes, dans ce quotidien de deuil, mon coeur mourrant se révolte, animé par une fureur libératrice. Sa dernière étincelle. A force de désespoir il en appelle à la Poésie, à la flamme romantique, à l'Amour, à tous ces feux souverains qui font tellement défaut à la ville où je demeure : Nogent-sur-Marne... Dans ses muets sanglots il s'en remet, plus infortuné, affligé et misérable que vengeur, aux esthètes de la douleur, aux chantres de la détresse, aux poètes du chagrin, laissant à leur solennel ennui de Gaule et Leclerc qui veillent sur les deux grandes rues principales. Mon coeur mis au sépulcre psalmodie alors les chants doux de la désespérance, pour ne point mourir tout à fait.

Et, m'éloignant de plus en plus de ces rues exécrées, continuellement empruntées sous l'égale grisaille des jours qui se succèdent, je pars à la rencontre de ce pauvre Baudelaire, de ce grandiose Hugo, de cet élégiaque Chopin... Rue Victor Hugo. Rue Charles Baudelaire. Rue Frédéric Chopin... Ces rues-là sont tout aussi tristes certes, mais Dieu ! qu'ils sont réconfortants ces bardes illustres auprès desquels vient s'épancher mon âme en ruine !

Sous l’éclat de ces flammes croisées au gré de mes pas tourmentés, je hâte ma fuite vers l'improbable, ivre du désir d'infini, de fortune, de lauriers, assoiffé de lumière, d'aventures et d'amours, indifférent aux fantômes emmitouflés qui passent à côté de moi. Rêveur insatiable, la fièvre au front, dans une belle et secrète folie je m'élance sous l'orage, dans l'air glacé ou au milieu de la brume qui tombe, insensible à l'onde terrible du ciel. J'imagine alors qu'un cheval au sabot d'airain, tel Pégase prenant son essor, m'emporte dans une chevauchée fulgurante et que des ailes soudaines m'arrachent enfin de ce sol de misère. Je rêve, caracolant sur une telle monture, de rejoindre les nues tourmentées qui narguent la ville.

Je me vois côtoyer les nuages dans une onirique cavalcade et hurler au monde la joie pure émanant de mon coeur plein de gloire. Je me vois partir en direction des étoiles, rejoindre un univers de légendes. Aux antipodes de Nogent-sur-Marne et de sa morne vallée de béton.

Lorsque je dévale la grande rue, tout empli de ces pensées, le visage fouaillé par la pluie, le souffle écumant et les cheveux au vent, j'ai envie Madame le Maire, comme un fou, comme un enfant perdu, comme une âme en peine, de traverser la cité d'un trait pour aller vous porter ma flamme mourante, pour vous témoigner, plein d'amertume, les langueurs que communique en moi votre ville au quotidien si terne, aux airs si désolants qui à ce point m'accablent. Au moins que ma détresse aujourd'hui aboutisse au seuil de votre ministère, et qu'elle trouve un ultime, salutaire, charitable refuge dans votre compassion.

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