lundi 26 janvier 2009

22 - Les casinos



Vidéo : "Je partais le coeur léger..."

Trois textes sur les casinos

1 - Le casino

Quand j'entre dans un casino, mon coeur se met à battre et je tremble, fébrile. Avec cette impression de passer les portes solennelles d'un doux enfer. Dans les clartés enfumées où je pénètre -la fièvre aux tempes- et sous les clameurs des machines à sous, j'aperçois parfois de vieilles connaissances : mes rencontres de la veille. Des frères et soeurs de jeu. Anonymes dans le vice.

Il y a des têtes d'abrutis, des mines défaites, des gorges déployées, des yeux éteints, des regards qui brillent, de laides filles et d'exubérantes baronnes, des catins glaciales et de vertueuses débauchées, des vieux messieurs, des dames, des demoiselles, des loups de mer cyniques et des novices à la peau tendre.

Ce sont mes amis. Des vautours qui me tournent autour attendant que je quitte mon bandit manchot après lui avoir laissé mon capital, avec l'espoir vénal, infâme et partagé de récupérer ma mise abandonnée à la machine. Nous sommes du même monde eux et moi : celui des éternels perdants. Ca n'est pas la faune, non. C'est plus aimable que ça. C'est une population de pauvres gens, de riches en rêve qui oublie le monde sous des luminaires dorés.

Ici les sourires sont crispés, les mains moites, les heures fluides, les secondes cruciales. Le temps est paradoxal : le cadran se fait oublier mais les minutes sont vertigineuses. Seul compte le verdict des rouleaux, chargés de sens. Tous espèrent voir s'aligner sur l'écran les trois sésames d'or et de plastique donnant droit au pactole. Le casino : un univers clos sans cesse au bord du drame.

Au casino n'importe qui peut laisser sa maigre fortune au joueur suivant qui prend sa place, plus chanceux. Au casino c'est le hasard qui tire les ficelles. De ces lieux obsessionnels le joueur ressort les poches vides mais la tête haute car, je l'ai remarqué à force de côtoyer ces établissements, tout perdant qui se respecte a certes peu de sagesse mais beaucoup de fierté.

2 - Les casinos

J'aime les casinos.

Pas les tables guindées avec les jeux de la roulette, non. Les simples salles de machines à sous. L'ambiance électrique et chatoyante émanant de ces lieux réjouit les sens, éveille les appétits. Les casinos, en mettant des lustres au-dessus des têtes et des tapis arlequins sous les pieds, changent les dimanches mornes en journées de fête.

Le casino, Byzance de paillettes et d'écume qui étourdit les têtes, fait tourner le sang, monter la sève... Avec son champagne et sa flotte de machines bruyantes, sa féerie de tintements et son clinquant, il fait battre les coeurs les plus rigides, décrispe les âmes les plus chastes... Temple d'exquise perdition, enfer enchanteur, la salle des machines à sous est mon refuge dominical favori.

Là, la cloche de l'église est remplacée par les sonneries annonçant gains ou pertes. Le brouhaha joyeux et frénétique régnant dans cet univers clos stimule ma piété la plus profane : fasciné par les cylindres tournants, je mise, indifférent à ma misère. Ici, l'avarice n'a plus cours : je suis riche, le temps d'une journée pleine d'illusions brillantes.

Je repars tard le soir, la bourse vide mais avec dans la tête des Marquises de paille criardes et des échos de châtelaines tapageuses qui hanteront mes songes tout une semaine durant.

3 - Dieu n'est pas bête du tout !

Dieu est un type bien, un être contradictoire mais très créatif possédant une personnalité tout de même assez complexe. Étonnamment doué pour les arts, la physique, le 100 mètres en natation, la mécanique automobile, il est imbattable aux échecs, incollable en Histoire.

C'est un poète qui a la bosse des maths.

Pas si sot, Dieu a choisi de se cacher pour mieux asseoir sa puissance. Cet animal est particulièrement susceptible : si on veut être dans ses faveurs il y a intérêt à croire à son entreprise multinationale. J'ai bien essayé de le mettre à l'épreuve, mais il est plus malin que l'on croit. Ainsi un jour au casino, alors que je venais de mettre mes derniers jetons dans une machine à sous, je me suis mis à le prier très fort : "si tu existes fais cracher le pactole à cette foutue machine qui m'a bouffé tous mes jetons, et là je croirai en toi, promis-juré !" Retenant mon souffle je mis mes derniers jetons, actionnai la manette, yeux fermés, doigts croisés... "Dieu si tu existes, fais que les rouleaux s'alignent sur les bons numéros" me répétai-je...

Les rouleaux n'en finissaient pas de tourner dans des cliquetis hystériques... Enfin ils s'immobilisèrent. Fébrile, j'ouvris les yeux.

Des chiffres apparurent, éclatants de promesses : je venais de décrocher le pactole !

Mais après une brève réflexion je me dis qu'en fait dans cet enfer du jeu, tirant les ficelles depuis les abîmes, c'est le diable qui venait de se manifester à moi, ce prince du mensonge et du hasard !

C'est là que je dis que Dieu est une personnalité complexe, un être contradictoire, un sacré bougre de renard : la preuve que Dieu venait de me donner qu'il était bien derrière cette trouble affaire tout en ne l'étant pas, donc qu'il existait, était que je venais de gagner le pactole au casino. Ma prière avait été exaucée, bien sûr mais par qui ?

"Si le démon du jeu existe, c'est que Dieu l'a créé" pensai-je, perplexe.

Je fis don de mes gains à un pauvre diable qui tendait la sébile au sortir de l'établissement impie et ne remis plus jamais les pieds au casino.

Ainsi Dieu m’avait prouvé son existence en me dégoûtant des casinos. En creux il s'était manifesté : en me faisant gagner puis perdre aussitôt mes gains.

Il est fort Dieu, non ?

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