Bien sûr ils sont beaucoup plus intelligents que les autres. Nécessairement.
Fortunés, instruits, bottés, coiffés de leurs parures de chefs et bien à l'abri dans leurs salons feutrés en train de déguster thé et biscuits fins, ils devisent avec science et gravité sur la situation, causant économie martiale, tactique et stratégie. Marcel Constantin dans son trou à Verdun vient de recevoir un éclat d'obus à la face. Son corps patauge dans la boue. Le sang de ce qui est à présent un cadavre chaud fait des bulles rouges sur la terre mouillée. Le thé de ces beaux messieurs à cent lieues de là est trop chaud. Léger mouvement de moustaches.
Il y a là le ministre de la guerre, deux ou trois généraux, un grand industriel automobile recyclé dans l'artillerie lourde, quelques personnages importants joliment costumés de cuir et de soie. Marcel est exsangue. Peu importe, il est mort. Son visage mutilé qui fait face au ciel est vite recouvert par une épaisse couche de terre déplacée par un obus ennemi. L'industriel est préoccupé... Le ministre de la guerre exige des garanties de livraison, par conséquent il lui faudra restructurer tout son système de production. Pas simple. La signature est retardée. Il faut trouver un accord rapidement. Le thé est un peu moins chaud, les moustaches se relèvent. Tout s'arrangera bien... Entre gens éduqués, intelligents et bien vêtus, tout s'arrange toujours. D'un sourire courtois on conclut un accord tacite, de principe. La signature se fera le jour-même. De Marcel Constantin il ne reste plus grand-chose. Enfoui dans la terre, enseveli sous le fer et le Mal, on ne retrouvera plus rien de lui, il fait déjà partie de ces milliers de disparus de la Grande Guerre, pulvérisés, détruits, broyés, effacés de la surface du globe par la mitraille et dont pas un seul ossement ne témoignera de leur existence sur cette terre. A cet instant tout est fini pour Marcel. En haut lieu, à cet instant, à cet instant-là, à cette même minute où Marcel vient d'avaler sa dose de boue par la gorge, les orbites, les oreilles et le cul, on ressert du thé aux grands décideurs de ce monde aux moustaches décidément bien frétillantes.
Ils sont beaux, ils sont aimables, ils sont respectables ces personnages importants à la tête des affaires de l'État, de l'industrie, de l'économie... Marcel quelque part sous la boue de Verdun ne les connaissait pas, tous ces beaux messieurs pleins de hauteur et de gravité. C'est normal puisqu'ils sont plus intelligents, plus fortunés, plus instruits et mieux placés que lui.
Eux sous les lambris de la République courroucée contre le Boche, lui dans sa fosse à charognes de Verdun.
Fortunés, instruits, bottés, coiffés de leurs parures de chefs et bien à l'abri dans leurs salons feutrés en train de déguster thé et biscuits fins, ils devisent avec science et gravité sur la situation, causant économie martiale, tactique et stratégie. Marcel Constantin dans son trou à Verdun vient de recevoir un éclat d'obus à la face. Son corps patauge dans la boue. Le sang de ce qui est à présent un cadavre chaud fait des bulles rouges sur la terre mouillée. Le thé de ces beaux messieurs à cent lieues de là est trop chaud. Léger mouvement de moustaches.
Il y a là le ministre de la guerre, deux ou trois généraux, un grand industriel automobile recyclé dans l'artillerie lourde, quelques personnages importants joliment costumés de cuir et de soie. Marcel est exsangue. Peu importe, il est mort. Son visage mutilé qui fait face au ciel est vite recouvert par une épaisse couche de terre déplacée par un obus ennemi. L'industriel est préoccupé... Le ministre de la guerre exige des garanties de livraison, par conséquent il lui faudra restructurer tout son système de production. Pas simple. La signature est retardée. Il faut trouver un accord rapidement. Le thé est un peu moins chaud, les moustaches se relèvent. Tout s'arrangera bien... Entre gens éduqués, intelligents et bien vêtus, tout s'arrange toujours. D'un sourire courtois on conclut un accord tacite, de principe. La signature se fera le jour-même. De Marcel Constantin il ne reste plus grand-chose. Enfoui dans la terre, enseveli sous le fer et le Mal, on ne retrouvera plus rien de lui, il fait déjà partie de ces milliers de disparus de la Grande Guerre, pulvérisés, détruits, broyés, effacés de la surface du globe par la mitraille et dont pas un seul ossement ne témoignera de leur existence sur cette terre. A cet instant tout est fini pour Marcel. En haut lieu, à cet instant, à cet instant-là, à cette même minute où Marcel vient d'avaler sa dose de boue par la gorge, les orbites, les oreilles et le cul, on ressert du thé aux grands décideurs de ce monde aux moustaches décidément bien frétillantes.
Ils sont beaux, ils sont aimables, ils sont respectables ces personnages importants à la tête des affaires de l'État, de l'industrie, de l'économie... Marcel quelque part sous la boue de Verdun ne les connaissait pas, tous ces beaux messieurs pleins de hauteur et de gravité. C'est normal puisqu'ils sont plus intelligents, plus fortunés, plus instruits et mieux placés que lui.
Eux sous les lambris de la République courroucée contre le Boche, lui dans sa fosse à charognes de Verdun.
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